Marche & Systema


Publié le 15.11.2020

 

Viennent les premiers pas. On s’accroche à tout ce qui traîne, on trébuche, on se vautre régulièrement. Les années passent, en quelques aléas suit l’entraînement en systema. Et le travail autour de la marche, sans concession, nous fait l’effet alors d’un long flash back, ça nous ramène à ces premières claudications. La marche, mouvement déroutant, faussement naturel et pétri de blocages, de déséquilibres et de tricheries. Ces premiers examens nous rappellent comment on trébuche, on chute inlassablement.

Encore plus déprimant si on met en rapport la marche et la respiration (les puristes auront reconnu le paradigme classique de la marche afghane) : caler quelques pas sur l’inspire, l’expire, sur les temps suspendus à plein ou à vide… Si le terrain devient accidenté les dérèglements ne pardonnent plus : l’exercice peut paraître simple mais la moindre pente ou la moindre contrainte thoracique se transforment en reliefs et en frustrations indépassables.

Marcher : travail de mobilité externe et interne. Libérer la marche dans le confort respiratoire coïncide avec ces petits moments de grâce : quand on peut partir dans n’importe quelle direction depuis n’importe quelle partie du corps, « à n’importe quel moment du film » (réorienter depuis un genoux, le pied ou la hanche, en levant un coude ou un talon, tourner avec le regard, en tendant l’oreille).

Un prérequis important (et un classique du systéma) : la structure. Tenir debout, érigés depuis le sommet du crâne, la colonne pleine, énergique, et une sorte de ballon ascensionnel logé sous le sternum, au cœur de la cage thoracique, nous tracte (sans nous cambrer) _ prestance du danseur ou de la danseuse étoile. Le combat contre la gravité est presque déjà gagné : si on est tiré par le plexus et soulevé du sol par le dynamisme de la cage les jambes n’ont plus qu’à déployer la marche sous cette trajectoire flottante, sans tensions excessives.

Quand on assiste, ou qu’on expérimente en partie cette marche suspendue, revient en écho l’anecdote du baron de Munchaüsen (cavalier fantasque qui d’après la légende s’extirpa un jour d’un marécage en tirant la queue de son cheval, mais juché sur sa propre selle – n’essayez pas dans votre piscine : c’est impossible). « Marcher non pas depuis les jambes mais en étant tracté par le plexus » relève aussi de l’illusion, une efficace illusion de légèreté : ses effets sont bien réels ; porté par cette sensation et l’ouverture de la cage on ne s’écroule pas à chaque pas, ou on ne doit pas arracher tout son poids à chaque pas.

Donc les déplacements sont moins marqués, les directions et mêmes les allures se révèlent moins lisibles – difficile de cadrer ce genre de mobilité. C’est ce qui fait en partie la spécificité des déplacements martiaux « en » systéma : une marche libre, sous ses hanches et sa colonne, sous son centre, en détendant particulièrement la plante des pieds, dos ouvert pour embrasser l’espace et tout ce qui peut inspirer… En conservant les hanches libres on est peu impacté par les chocs qui sont transformés en simples péripéties (occasions de redirections). Comme si, même pris sous un déluge de coups, on pouvait à chaque pas partir dans les six directions (avant arrière gauche droite en haut en bas) : chaque espace, chaque seconde est une intersection jamais une dégringolade ou un tunnel.

Marcher bouger respirer.

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